Le cri

Avec ELLES et EUX

Le cri est un projet participatif autour du cri, visant à restituer une place à l’inaudible, l’inécoutable et ce qui est à taire. J’ai lancé un appel à celle et ceux qui souhaiteraient ou ressentiraient le besoin de crier et d’ainsi intégrer la communauté impossible de celles et ceux qui souhaitent crier mais ne le peuvent pas. Un protocole de participation a été établi et partagé avec les participants en vue de préparer une session d’enregistrement en studio. Ce projet avait pour vocation à permettre la rencontre entre des individus étrangers les uns des autres, autour de la possibilité de crier. La communauté éphémère ainsi crée s’était établie dans l’antichambre du studio d’enregistrement et chaque participant a réalisé l’enregistrement de sa séquence en présence de l’ingénieur son et de moi-même, à tour de rôle. Il s’agissait d’enregistrer un ou plusieurs cris avec pour seule contrainte, la nécessité d’exprimer un cri sans mots. Il devait s’agir d’un langage du cri, un cri de dissentiment, de résistance, d’indignation, de différence ou de fureur. Un cri porteur d’une violence, à l’adresse de quelqu’un qui n’entend pas, comme plainte et actualisation d’une différence et d’une altérité.

Le cri est une différence projetée vers l’unité, sous forme sonore, visuelle et corporelle. Il est une onde de désordre jaillissante qui se propage et qui trouve son origine dans le corps interne et qui déforme les visages et fait des bouches, des béances qui engloutissent et qui projettent. 

Il s’agit d’accorder une place à la différence qu’il désigne,  en ouvrant un interstice dans lequel une communauté a pu se réfugier. Ce studio et son antichambre ont alors pris l’apparence d’un espace refuge à habiter, un espace des possibles à partager, un terrain commun pour une co-existence. 

Parallèlement aux prises de sons, des prises de vue vidéo ont été réalisées. Un smartphone sur trépieds était disposé dans l’antichambre et filmait la communauté et ses échanges autour d’un canapé. Dans le studio, le crieur était également filmé pendant sa prise de son.

Par suite, ces différentes prises ont été articulées autour d’une installation qui devait documenter cette première partie du projet par des moyens visant à rendre visible le son des cris au travers d’un dispositif cymatique. Un écran disposé dans l’espace, accueillait deux projections vidéo, une sur le recto, l’autre sur le verso. D’un côté était projeté le plan séquence de la communauté, sans le son. De l’autre côté était projeté un montage des portraits des crieurs, ralentis, sans le son également. L’installation était complétée par un amplificateur auquel était connectée une enceinte, disposée plus loin, horizontalement et sur l’hautparleur principal de laquelle un plateau contenant de l’eau et de l’encre de chine était posé. Un système d’éclairage permettait alors de visualiser les vibrations sonores générées à la surface de l’eau par le son des cris dont la hauteur et la vitesse ont été modifiées, afin d’atteindre des fréquences suffisamment basses pour ne plus être audibles.

Le cri a créé les circonstances nécessaires à la possibilité de crier, un essai consenti et souhaité. L’espace, le cadre et le protocole ont permis à des hommes et des femmes, mineurs et majeurs, d’exprimer, au travers du corps et sans mots, des affects, des trop pleins et des différences. Ce qui a jailli et s’est projeté, l’a été corporellement et a rendu visible et audible des déformations et des dissonances. La tonalité, la hauteur et la puissance de sa propre voix ont pu se révéler et être appréhendées pour la première fois. Nous avons pu crier sans crainte d’être montrés du doigts ou rejetés, sans nous soucier des sons qui émanaient de nous ou de notre apparence et de nos visages déformés. Nous nous sommes rendus visibles dans le moment d’appréhension qui précédait et dans celui de soulagement qui suivait. Chacun a pu s’écouter une fois après l’enregistrement. De plus, ce projet a également permis de réelles rencontres, la formation d’une communauté autour de ces essais et la participation à un projet artistique.

La cymatique en est ici le révélateur, en ce qu’elle permet de faire émerger des formes et des déformations qui visent à donner corps à un jaillissement, témoin des cris et de la communauté subaquatique.

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L'imparfait existe.