CORPUS D’OBJETS
Objets visuels : (dernière mise à jour décembre 2023)
Ma démarche de sélection d’objets visuels consiste à lister un certain nombre de démarches artistiques liées aux notions de désoeuvrement et de processus artistique afin de sélectionner des oeuvres et des objets visuels issus de ces démarches pour pouvoir les décrire, les analyser, en faire ressortir le contexte et surtout le rapport au processus pour pouvoir déterminer ce en quoi la démarche mise en avant se rapproche ou s’éloigne de l’approche du processus et du désoeuvrement que je tente d’élaborer.
Les démarches en question sont celles s’articulant autour :
de l’art d’environnement
de l’art processuel
du meta-art
de l’arte povera
du happening
de la performance
de l’art d’attitude
des mythologies personnelles
de l’installation
de nouvelles formes de narrativité
de la représentation des images mentales
de l’exposition Quand les attitudes deviennent formes de 1969 et de sa réédition de 2013
du cinéma de science-fiction traitant des processus mentaux
Dans cet extrait, l'artiste américain Keith Sonnier s'exprime au sujet de l’exposition Quand les attitudes deviennent formes de1969, à la Kunsthalle de Berne. Source tirée des archives de la RTS
A line Made by Walking
Sculpture réalisée par Richard Long en 1967
The cathedral of Erotic Misery
Merzbau, Kurt Schwitters, Hanovre, 1924-1937
Des histoires vraies
Sophie Calle, 1994
Devoir quotidien
Jacques Lennep, 9 september 1998
En suivant la main gauche de Jacques Lacan - Le non-sens du rapport sexuel (Détail)
Pierre Bismuth et Jan Mot, Bruxelles, 2021
Ten Downtown
16 avril 1971, New York Times
Orlan, Omniprésence, 1993
Cosmos Andrew Sachiapone
Gordon Matta-Clark installant Walls Paper au 112 Greene Street en 1972
White Columns Archive, New York
Proun Raum
El Lissitzky, 1923
Robert Morris en 1970 au Whitney Museum
Hand Catching Lead
Court métrage, Richard Serra, 1968
Fontaine
Marcel Duchamp, 1917
Frontière visuelle
Godelieve Vandamme, 2022
Matrix
Long métrage de science-fiction, les Wachowski, 1999
Analyse inconographique :
Ma thématique s’énonce actuellement comme suit : Processus mental et désoeuvrement : La co-création au coeur des dispositifs artistiques. La question du processus et du désoeuvrement tisse un lien particulier entre oeuvre, activité de l’artiste, attitude et vie et renvoie davantage à ce que Boris Groys décrit comme une documentation par des moyens traditionnellement artistiques, de la vie comme projet artistique. Ma recherche s’articule autour d’un glissement, de l’oeuvre qui fait oeuvre en soi, qui n’a par conséquent pas à convoqué l’art en-dehors d’elle même, vers un document qui ne fait pas art en lui-même mais qui se réfère à la vie, comme projet artistique. En passant de l’oeuvre au projet, de l’objet art qui fait oeuvre, à la vie qui fait art, et à une documentation de ce projet, les pratiques processuelles impliquant une forme de désoeuvrement mettent en jeu tous les médiums. Cette documentation peut prendre la forme d’une vidéo, qu’il s’agisse d’un court métrage ou d’un long métrage, mais également d’installations, de performances, de ready mades ou de livres mêlant images et textes. Il semblerait que certaines pratiques artistiques comme la peinture ou la sculpture soient moins représentées. C’est le cas dans ce premier panel d’objets visuels. Le processus renvoyant au mouvement alors que le désoeuvrement renvoie à une forme de suspension d’activité, la question du mouvement semble essentielle. L’installation, la performance et la vidéo permettent d’aborder et de représenter le mouvement ou sa suspension de manière plus naturelle et il n’est donc pas étonnant de constater que ces pratiques soient davantage représentées.
Prenons l’exemple d’initiatives comme « 10 Downtown : The Artist’s work in dis studio » ou « 112 Workshop / 112 Greene Street ».
« « 10 Downtown » offrent une opportunité unique au public pour voir ce que les artistes actuels veulent exposer, et la façon dont ils veulent l’exposer. » Il s’agit d’une manifestation qui s’est déroulée pour la première fois en 1968. Dix artistes des quartiers sud de Manhattan, installés dans des friches industrielles qui finiront par être rassemblées dans ce qui formera SoHo, ouvrent les portent de leurs ateliers et invitent artistes et passants à venir observer la création en train de se faire. Il s’agit là d’une démarche souhaitant mettre en avant le processus de création artistique et l’activité de l’artiste entrain de faire, de l’artiste à l’oeuvre et de donner accès à ce qui d’habitude est occulté, et ne peut qu’être deviné et lu de manière spéculative.
« 112 Workshop / 112 Greene Street » est un projet similaire. Ce lieu s’appelle désormais White Columns ou P.S.1, est aujourd’hui affilié au MoMA. « Godon Matta-Clark, qui avec Jeffrey Lew, Suzanne Harris ou encore Alan Saret, fut un des membres fondateurs de 112 Greene Street, utilisa ces lieux pour des expérimentations permanentes. » Le concept d’expérimentation permanente ici avancé, semble relever d’une forme d’art processuelle et de désœuvrement qui tend à dépasser l’idée de donner accès au processus de création artistique conduisant à une oeuvre. C’est au niveau du rapport au temps que ce concept d’expérimentation permanente diffère d’un simple accès au processus conduisant à une oeuvre. En effet, une permanence de l’expérimentation renvoie à un faire sans fin et sans finalité, à une activité et un processus désoeuvrés en ce qu’ils n’existent et ne se donnent à voir qu’en temps qu’activité ou processus et non comme des états transitoires pré-existant à une oeuvre. Le terme d’expérimentation est ici employé et il n’est pas anodin dans la mesure où une expérimentation est une forme d’activité qui n’a pas d’autre but que de se faire pour tester quelque chose ou voir émerger des possibles. Une expérimentation n’a pas pour objectif de conduire à un résultat précis et attendu qui fera oeuvre. L’expérimentation implique une forme de liberté et d’ouverture, elle est une bouteille jetée à la mer. L’expérimentation se voulant permanente désoeuvre tout autre oeuvre. Ce qui est donné à voir n’est donc pas une temporalité intermédiaire, habituellement cachée, entre un point d’origine à la genèse du processus et un point d’arriver à l’achèvement de l’oeuvre, mais un temps infini, permanent, qui à une origine mais qui n’a pas pour vocation d’avoir une fin. La notion de permanence de l’expérimentation me permet de préciser ce sur quoi je souhaite faire porter ma recherche.
Il est dans ces deux cas question d’un rapport exhibitionniste-voyeur appliqué à l’activité artistique dans l’espace de l’atelier. Ici, le regard se pose sur le geste artistique, la matière et l’action dans l’espace de l’atelier, un fragment transitoire de l’espace de vie et de l’existence dans un faire artistique quelque peu détaché de l’idée d’un faire pur de l’existence. La séparation travail-non travail y est trop présente. Ce qui est illustré ici n’est pas tout à fait la vie- comme-projet-artistique mais plutôt l’art entrain de se faire par un artiste plus qu’un être, dans un lieu de travail artistique, comme projet artistique, détaché de l’idée d’achèvement. Ces deux projets m'ont permis de mettre en lumière différents aspects de l’art processuel. Il y l’art entrain de se faire dans l’espace de l’atelier qui donne accès à des états transitoires de l’oeuvre en devenir, il y a la permanence de l’expérimentation et il y a les limites que ces deux approches partagent en ce qu’elles se limitent à l’espace de l’atelier.
Prenons à présent l’exemple d’Orlan et de son projet Omniprésence.
Il s’agit de la septième performance médicale de l’artiste Orlan, faisant intervenir la chirurgie esthétique dans la transformation de son corps. Les chirurgies esthétiques intimes de l'artiste deviennent un spectacle public et son corps devient l’objet de l’art. Il s’agit là d’une performance engagée qui soulève des questions sur la chirurgie esthétique et les tabous sociaux. Mais au-delà de cette intention et de cette lecture, il s’agit d’une forme d’art processuel qui intègre le corps et sa transformation dans un processus qui fait art. La vie de l’artiste est impliquée, l’art entre dans l’intime et est en mouvement, dans le temps, attestant d’états transitoires.
La relation exhibitionniste-voyeur s’applique ici d’avantage à la vie de l’artiste, dans son corps, dans sa chair, dans son identité, dans un work in progress de l’être artiste. La séparation travail-non travail n’est plus visible, l’art se fait dans ce qu’il y a de plus intime, hors de l’atelier.
Jacques Lennep ( ou van Lennep dans le cadre institutionnel ) et ses Devoirs quotidiens ont particulièrement attiré mon attention. Jacques Lennep est un historien de l’art, conservateur de musée et artiste, belge. Il pense l’art et s’inscrit également dans la création en faisant appel à des connaissances et des savoirs acquis dans de très nombreux domaines et dans une forme de création impliquant différents médias et supports et une interdisciplinarité. Son travail se focalise essentiellement sur la dimension relationnel de l’art, sur l’art et le lien social, l’esthétique relationnelle et l’art d’attitude. Il est un précurseur dans son pays en terme d’art video et pense très tôt à la diffusion de ses oeuvres sur internet. Sa pratique artistique, ancrée dans le quotidien et la vie, dans la petite histoire des individus et une forme de désoeuvrement par l’effacement mais un effacement qui n’est pas un rien, se veut être le lieu de révélations et d’émergences. En tant que chef de département de musée, il n’avait plus la disponibilité et temporelle et mentale nécessaire pour pouvoir créer. Afin de pouvoir remédier à cela, l’artiste lança le projet des Devoirs quotidiens, qu’il pense comme une performance qui se fait au quotidien, dans la vie. Le but de cette performance est de profiter du temps passé quotidiennement dans le train sur le trajet domicile travail, pour faire émerger ses Devoirs quotidiens qui prennent la forme de feuilles A4, blanches au départ, sur les quelles viennent se mêler images et textes. L’émergence du contenu se fait à partir de la captation de fragments du réel, de paysages ou de conversations par exemple. Son esprit, disponible à ce moment, vagabonde et se laisse happer par ce qui advient, par ce qui l’entoure, par les sons, les images, etc. L’image est le plus souvent conçue en premier et en parallèle de cette conception, le texte se construit, mentalement. Il s’agit de mettre en oeuvre, par désoeuvrement, la disponibilité mentale et temporelle nécessaire à la génération d’un espace mental qui va réinventer la réalité. D’un point de vue technique et formel, Lennep utilise toujours une feuille blanche de format A4, un crayon, une plume ou un stylo, quasi exclusivement en noir, ainsi que des fragments de photographies, de lettres, de textes ou de dessins. Le premier devoir quotidien date du 18 février 1996 et le dernier du 20 février 2002. Il s’agit là d’une forme d’art processuelle non pas permanente en ce qu’elle ne s’arrête jamais, mais répétée quotidiennement, par itérations. Ces itérations ont leur propre temporalité et le projet, qui se veut être une performance dans la durée, aura duré près de six années. Il s’agit d’une forme d’art processuelle qui mêle art et vie et qui implique l’autre et l’environnement dans une forme de co-création. L’artiste se rend disponible pour faire émerger quelque chose à partir du réel. La disponibilité comme condition d’émergence de possibles est le principal concept mis en jeu ici.
D’autres oeuvres sont en cours d’analyse.
La plupart des oeuvres ici présentes ont été produites par des artistes européens ou américains, homme ou femmes, de la fin des années 1960 à aujourd’hui. La temporalité qui parait essentielle des le cadre de ma thématique de recherche et dans la plupart de ces oeuvres est celle du moment présent et de l’ici et maintenant. Il me parait nécessaire de préciser ce cadre spatio-temporel. En effet, j’ai parlé de l’Europe et des Etats-Unis comme des lieux d’émergences et d’actualité de ces pratiques mais il me faut être plus précis. Le véritable cadre spatial mis en jeu n’est pas géographique, il s’agit de l’espace mental, d’une espace intérieur. Le quotidien, la vie et l’intime semblent également être des éléments importants.
J’ai précédemment présenté le contexte d’émergence de ces formes d’art processuelles dans les années 1960 et 1970. Qu’en est-t-il du contexte actuel, l’époque actuelle, une époque dans laquelle cohabitent plus que jamais objets d’art et œuvres processuelles ?
Aujourd’hui, avec la télévision, la téléphonie et surtout internet, le présent se mêle à l’instantanéité, l’ici et maintenant se heurte à l’ubiquité, le temps se conjugue au pluriel et les frontières, abstraites par nature, le deviennent encore davantage. L’Humanité, en Occident, libérée de la foi, des mythes et des récits partagés, s’incarne et incarne l’individu, toujours plus dans la matière et dans des espaces de plus en plus restreints. Avec la révolution industrielle, la masse paysanne a migré vers les usines marquant une rupture avec la nature et un enfermement. Deux siècles plus tard la masse des travailleurs se retrouve dans l’espace réduit et artificiel du bureau, ce qui marque une nouvelle étape dans cet enfermement collectif et dans l’atomisation de l’individu. Les confinements et la fuite en avant dans les réseaux sociaux n’en sont que la continuation, et l’exil, dans la virtualité et l’ailleurs est de plus en plus courant. On quitte sa nation, sa famille, son groupe social, on s’émancipe de tout pour se réétiquetter et se recloîtrer ailleurs. Tout ceci est nourrit par un désenchantement toujours plus présent dans notre relation au monde. Le quotidien devient plus que jamais un jeu d’apparence, une vitrine idéalisée et aliénante où l’immédiateté s’érige en maître absolu.
L’Homme s’est détaché du mythe, du rêve, de l’idéal, du sacré, de la nature puis des autres Hommes et toutes ces strates de désillusion, de désenchantement, de blessures, de détachement et d’isolement, s’accumulent pour former un récit collectif et une mémoire partagée teintée de pessimisme.
« Le présent a cessé d’être le lieu de transition entre le passé et le futur ; à la place, il est devenu le site de la réécriture permanente du passé et du futur en même temps - le site de la prolifération constante de narrations historiques en dehors de toute prise ou de tout contrôle particuliers. »
Les guerres, les crises, les révolutions et les coups-d’états sont toujours d’actualité. Les sociétés poursuivent leurs évolutions et l’ordre mondial établi vacille. Les mouvements qui oeuvrent pour la justice et contre les inégalités poursuivent leur lutte, des droits fondamentaux sont remis en question aux États-Unis et en Europe, les progrès technologiques posent de nouveaux problèmes éthiques et la crise climatique devient urgence climatique.
D’un point de vue sociologique, selon Pascal Nicolas Le-Strat, nous vivons dans une époque marquée par la massification, la dématérialisation, la surreprésentation des talents et des compétences ainsi que de sa banalisation.
« C’est bien au titre de ces nouvelles conformations – activités de masse, qualités diffuses et compétences généralisées – que l’art entre dans le champ de l’interrogation sociologique. »
« Le peuple est riche, ce n’est pas la moindre des contradictions que de le maintenir dans les plus détestables conditions de paupérisation (le R.M.I ) au moment justement où l’intellectualité et la créativité lui appartiennent en propre. Jamais il n’a été aussi formé et qualifié. Jamais il n’a pu accéder comme aujourd’hui à l’exercice des professions « créatives-intellectuelles ». Et pourtant, cette intellectualité lui est en permanence déniée, tant par des conditions de vie qui s’apparentent à de la survie - le manque de disponibilité mentale devient un vrai mécanisme d’oppression dans la société contemporaine - que par des dispositions organisationnelles périmées, qui maintiennentde la hiérarchie et de la dissociation entre conception et exécution là où, objectivement, elles n’ont plus lieu d’être, que ce soit dans le champ du politique ou dans le champ du travail. »
L’instantanéité et l’immédiateté se mêlent à un présent vidé de planifications de futurs radieux, occupé à réécrire son passé et où la disponibilité mentale n’est plus que fantasmée.
« En réalité, le véritable accomplissement de la technologie biopolitique repose plutôt sur la mise en forme de la longévité elle- même, sur l’organisation de la vie en tant qu’évènement, en tant qu’activité pure se déployant dans le temps. Depuis la procréation et la fourniture de soins médicaux tout au long de la vie, en passant par la régulation de l’équilibre entre travail et loisir, jusqu’à la mort assistée (si ce n’est provoquée) médicalement, la vie de chaque individu est désormais soumise en permanence au contrôle artificiel et perfectionnement. »
Nos sociétés actuelles sont marquées par un rapport au contrôle et aux moyens de contrôle, toujours plus présents. Ce contrôle, dans le cadre d’une vision biopolitique de notre époque, fait du corps, l’objet de la technologie, de la politique et des sciences et par là même, prend en otage l’espace mental, un espace au sein duquel la disponibilité devient une denrée rare, une disponibilité qui se confronte à la frustration, aux addictions et à la course après le temps.
L’ambivalence est l’un de marqueurs de notre époque. Il y a constamment ambivalence et contradiction entre des possibles rendus possibles par la technologie et l’accès au savoir et à la connaissance, par exemple, et la quasi impossibilité d’exploiter ces possibles ou de les mettre en oeuvre. La mise en oeuvre des possibles devient impossible et cela conduit à une frustration des corps, à une frustration des êtres. Cette impossibilité de la mise en oeuvre nous pousse à questionner l’idée même de mise en oeuvre.
Les principaux éléments mis en lumière par ces différentes analyses sont :
Le moment présent et l’ici et maintenant
L’espace mental
L’art et la vie
Le quotidien
La disponibilité ou l’indisponibilité mentale et/ou temporelle
La relation
L’intime
La révélation
La permanence du processus
Nuage de citations : en cours
« C’est donc sur le blanc du texte de Joubert que les générations littéraires successives ont projetés leur actualité et grâce à cet espace envahissant des marges qu’elles en ont fait leur contemporain. Peut-être plus qu’aucun autre écrivain, Joubert, comme la beauté pour Keats, n’existe que dans l’oeil de celui qui le lit. »
« L’évènement n’est rien d’autre que cette reconfiguration impersonnelle des mes possibles et du monde qui advient en un fait et par laquelle il ouvre une faille dans ma propre aventure. »